So– Devenir peintre, un rêve d’enfant ?

Kota Taniuchi– Enfant, j’étais toujours plus ou moins entouré d’artistes. Mon oncle (NDLR : Rokuro Taniuchi, peintre japonais bien connu), bien sûr, mon père en un sens puisqu’il peignait sur les kimonos… et puis, on habitait un quartier où il y avait beaucoup de peintres. J’ai toujours aimé dessiner, peindre. Et j’ai toujours su que je continuerai à peindre, même si je ne pouvais pas en faire mon métier…

So– Vous avez commencé par réaliser des albums pour enfants. Comment avez-vous choisi ce domaine ?

K.T.- En fait, cela a été un pur hasard. Etant jeune, je n’avais pratiquement pas feuilleté de livres pour enfants. Je ne savais donc pas ce que renfermait un album, et ce n’était pas un domaine qui m’attirait particulièrement. C’est mon oncle Rokuro qui m’a poussé à faire quelques essais. J’ai alors réalisé Là-haut sur la colline.

So- Et l’éditeur de Shiko-sha l’a aussitôt accepté ?

K.T.– Oui. Le fondateur de Shiko-sha, Yasoo Takeichi a une conception particulière du livre pour enfants : pour lui, un album est un objet d’art en soi, et n’est donc pas destiné aux seuls enfants. D’ailleurs, la collection de Shiko-sha s’adresse à un large public de 0 à 99 ans. C’est une philosophie que je partage, et Monsieur Takeichi et moi, nous nous sommes très vite bien entendus. Par ailleurs, le but n’est pas d’apprendre aux enfants à travers les albums, mais qu’ils découvrent eux-mêmes à travers les images. Il y a eu d’ailleurs un mouvement en ce sens au début des années 1970, notamment à travers les œuvres de Binette Schroeder, qui m’ont beaucoup marqué. Au lieu d’infantiliser les jeunes lecteurs, il s’agit de les amener à se fier à leurs propres sensations.

So- Vous y avez alors pris goût ?

K.T.– En fait, j’ai réalisé qu’on pouvait faire énormément de choses à l’intérieur d’un album. Il offre en effet un espace privilégié pour exprimer des sensations, des impressions, recréer une atmosphère. Mon objectif n’est pas de raconter des histoires, mais de créer un monde dans lequel chacun peut plonger et inventer sa propre histoire.

So– C’est ce qui explique sans doute la place minime du texte par rapport à l’image ?

K.T.- Pour moi, il est important de voir les choses avant de les nommer. C’est pourquoi mes albums sont mieux perçus par les enfants qui ne savent pas encore lire, car ils savent regarder et donc imaginer. Je pense que les adultes devraient aussi conserver ce regard d’enfant …

So- Justement, comment imaginez-vous vos histoires ?

K.T.- Mes histoires partent toujours de souvenirs d’enfance, de sensations que j’ai gardés en mémoire, comme le vent dans les cheveux, le bruit du train…

So- Y-a-t-il un lien entre vos tableaux et tout ce monde de l’imaginaire que vous créez ?

K.T.- La différence essentielle entre une toile et un album, c’est la place dont je dispose pour exprimer une sensation. Mais c’est vrai que même dans mes toiles, j’essaye de saisir une atmosphère, de recréer un imaginaire…

So- Et pourquoi avoir choisi la Normandie comme cadre de vos oeuvres depuis vingt ans maintenant ?

K.T.- C’est encore un hasard ! (rires) J’avais vu des photos de Lisieux, où j’ai voulu m’installer, mais en prenant le train, je suis arrivé à Rouen. Nous venions de faire un long voyage, nous étions fatigués et nous avons décidé de rester ! Mis à part cette anecdote, c’est une région magnifique : l’air, le ciel, le vent, la lumière… Les paysages dégagent une certaine pureté, mêlée d’âpreté, d’authenticité. Et puis, les jours de pluie, je trouve le paysage brumeux d’une grande beauté, comme un dessin au fusain. Ce côté vague, flou correspond bien à mon caractère…

So- Justement, comment choisissez-vous les endroits que vous peignez ?

K.T.- Je ne sais pas… Je dirai que le paysage « m’appelle»,
le plus souvent. Je peux passer dix fois devant un endroit sans que je n’éprouve l’envie de le peindre et puis, la onzième fois, tout concorde : l’air, la lumière… Et là, je sais qu’il faut que je le peigne. J’apprécie particulièrement débuter un tableau : le regard est encore neuf, attentif…

So- Vos projets ?

K.T.- Continuer, tout simplement…

Entretien réalisé le 2 février 2003, à Rouen.

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